Premiers pas au centre d'un monde | Joshua

Premiers pas au centre d'un monde


Oh, Sarah, elle est belle mais seulement quand elle est nue, le corps tendu par ses grands airs, mes doigts collés à sa nuque...


L’attraction était trop forte. Elle se souvenait… Elle se souvenait que Nathaniel lui avait dit qu’elle pourrait toujours le trouver dans cet endroit si elle avait besoin de lui. C’était touchant de la part de cet homme qu’elle admirait – en fait, elle avait eu instantanément les larmes aux yeux. Elle était encore émotive, à ce moment-là… Bien plus qu’elle ne l’était maintenant. Elle n’avait pas voulu grandir si vite. Elle aurait préféré profiter encore un peu de la candeur qu’exprimait son visage, et qu’elle ne ressentait plus, physiquement du moins.

Il était tard, encore une fois. Bien trop tard pour une jeune fille à l’air aussi fragile qu’elle. Sa petite taille n’aidait en rien à démentir cette impression. Mais elle n’avait pas vraiment le temps en journée, pas alors qu’elle travaillait jusqu’à s’en rendre malade. Parfois, elle avait l’impression d’approcher de sa limite. Puis ce malaise refluait lentement, laissant sur la berge de son esprit des marques de crocs et de griffes qui s’infecteraient quand, vraiment, elle dépasserait les bornes. Elle le savait, elle savait tout cela, elle en était consciente mais refusait de l’admettre. La tête haute et le cœur serein, aurait ri Miki. Il savait que cette maxime s’appliquait particulièrement bien à sa sœur.

Il n’était pas là, ce soir-là. Elle avait eu besoin d’agir seule, comme une grande. Comme une adulte. Si elle avait su ce qui l’attendait, quelques semaines plus tard à peine, elle aurait savouré chaque instant passé avec son frère. Mais elle ne voyait la lettre de l’Incontestable que dans ses cauchemars, et si elle en avait peur, elle n’imaginait pas en être véritablement la cible. Pas encore. Il était trop tôt, elle était trop jeune. Ils étaient tous trop jeunes, les élèves de sa classe, de son école. Le suicide de Rika en était une preuve, si seulement il était concevable d’avoir besoin d’en fournir une. Cela ne tombait-il pas sous le sens ? On ne mariait pas une enfant ! L’humanité régressait, elle le sentait jusque dans sa chair.

Il faisait froid, si froid qu’elle en avait mal aux doigts. Elle posa un regard désabusé et cynique sur ses ongles rongés, la plupart jusqu’à ce qu’elle ait mal. Elle trouvait ça tellement stupide de devoir poser des morceaux de plastique dessus pour cacher ce défaut quand elle laissait tomber sa casquette de lycéenne pour redevenir Lii-chan, l’idole que tout le monde connaissait, que tout le monde aimait. Elle, elle ne s’aimait pas, pas vraiment. Elle était faible, impuissante à protéger sa famille, à faire valoir son système de valeurs. Ses lèvres se plissèrent brièvement de dégoût, et elle secoua la tête.

Mieux valait reporter son attention sur l’endroit devant lequel elle s’était arrêtée. Son regard tranquille se posa sur la bâtisse autour de laquelle elle avait erré ces derniers soirs. Miki était totalement contre sa venue là, mais comment aurait-il pu l’en empêcher ? Même lui craignait un peu l’ouragan Lily. De toute façon, pensait-il, il fallait bien qu’elle tente le coup. Peut-être y avait-il effectivement quelque chose pour elle, ici. Un fragment de réponse, un début de piste.

Elle n’avait pas revu Nathaniel leur première rencontre, dans le cadre de ce fameux projet pour son club d’écriture. Mais elle savait que cela viendrait. Elle avait confiance en cette trame qui se tissait patiemment autour d’elle. Les liens que les gens tissaient entre eux étaient une trame immense, plus infinie encore que l’univers, tellement plus complexe aussi. Elle percevait ces infimes connexions, ou plus exactement, elle avait conscience de leur existence, de leur importance.

Elle n’était pas là pour forcer à main à sa trame, pour que le lien se tisse plus vite. Non, elle voulait juste… Satisfaire sa curiosité. Être là, tout simplement. Ses grands yeux pensifs, dont la simple couleur suffisait à fasciner le japonais moyen, contemplaient ce lieu sans relâche. Elle avait décidé qu’elle l’aimait bien. Cela lui correspondait mieux que les jolis locaux bien propres dans lesquels elle travaillait avec l’agence. Et c’était, en même temps, différent de son quartier miteux, dangereux. Fascinant, en d’autres termes. Elle aimait être fascinée, surtout quand elle pouvait aligner un raisonnement derrière. Et là, elle le pouvait. Ce qui était parfait.

Personne n’avait essayé de l’empêcher d’entrer. Sans doute ne voulait-on pas se retrouver confronté à son expression neutre, sage, tranquille. Son expression qui savait, et qui en savait bien trop, sur tout et tout le monde. C’était une illusion. Elle ignorait énormément de choses. Elle était encore un peu une enfant, parfois. Déchirée entre candeur et maturité, elle se voyait forcée d’évoluer, de respirer, de pleurer, rire et crier, comme tout le monde. Comme personne.

Elle détonnait sans vraiment détonner dans ce monde à l'échelle d'un bar. Il n'y avait pas grand-monde, mais elle était la seule à ne pas être en train de parler avec quelqu'un, de draguer quelqu'un. Ses vêtements, eux, ne correspondaient qu'à son style unique, mais n'étaient pas adaptés à la saison froide puisqu'elle revenait d'un enregistrement en studio. Elle portait une chemise - un modèle pour homme - aux manches savamment déchirées, un short noir usé et une paire de bas en dentelles, sur des bottes hautes elles aussi en piteux état. Elle avait passé une ceinture customisée par des clous, des chaines argentées et des rubans, qui affinait sa taille, même si celle-ci n'en avait pas besoin. Et elle avait froid, bon sang. Le fait d'être à l'intérieur ne la réchauffait pas, pas alors qu'elle entendait la violence du vent au-dehors. C'était psychologique, mais sur elle qui supportait très mal le froid, c'était redoutablement efficace. Elle jeta un regard envieux au bar, sentant une bonne odeur de café, et la présence très nette d'un peu de monnaie dans sa poche. Ce serait une dépense inutile - elle pouvait tenir le coup même si elle se sentait mal - mais elle en avait terriblement envie.

Soudain, une main sur son bras. Elle se retourna, contempla les piercings et la chevelure hérissée, à la couleur peu commune. Aussi peu commune que la sienne. Elle se demanda si, pour l’homme, c’était aussi naturel que pour elle qui était née avec la pilosité bleue. Elle sourit, pencha légèrement la tête sur le côté en se mordillant la lèvre inférieure. Rituel d’incompréhension, effectué sans réfléchir. Cet homme dégageait quelque chose, qui lui rappelait drôlement son modèle. Il émanait de lui un savoir qui avait le même goût que celui environnant Nathaniel, et c'était réconfortant. Elle ne se dégagea pas de sa prise, uniquement parce que la paume était chaude sur son bras nu - il n'avait pas empoigné les lambeaux de sa chemise - et que les doigts veillaient à ne pas lui faire mal.

« Bonjour, Monsieur. Est-ce que Monsieur Nathaniel est présent ? Il a dit il y a quelques mois que si j’avais envie de le voir, j’avais des chances de le croiser ici. »

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MessageSujet: Re: Premiers pas au centre d'un monde | Joshua Ven 19 Déc - 1:04 Répondre en citant Editer/Supprimer ce message
La partie de billard s’achevait que déjà l’envie de vidanger l’animal se fit sentir. Joshua salua d’une brève accolade ses collègues de jeu avant de céder la place à un autre. Ramenant au passage quelques verres vides pour filer un coup de main aux copains derrière le comptoir, il alla déposer le tout dans l’évier en inox et s’en alla trouver une pissotière. Une fois son affaire faite, Josh se rinça grossièrement les pattes puis retourna dans la salle bondée d’habitués.

Il n'avait pas de planning particulier en tête, la faute à ce connard d'ordinateur, qui avait bouché le temps libre de ses amis à coup de conjoints. Voyez le tableau: Nathaniel avait filé du boulot sans trainer comme si sa vie en dépendait (et le pire, c'est que ce n'était pas loin d'être vrai) pour partager un repas avec sa dulcinée, Abbey roucoulait avec son cachalot, sans doute en train d'essayer de lui enseigner "comment tenir une manette de Playstation 8 pour les nuls", Sagitta venait fraichement d'être recasée avec un nouveau Jules, et Daisy était de corvée de mômes (merci chéri) pour la soirée. Rien que l'idée le mettait en rogne.
Tous. Il les avait tous maqués.

Le Sullivan sentait l'épée de Damoclès au dessus de sa tête lui ricanant à la gueule un "Ce sera bientôt ton tour!" de plus en plus criard. Rien que l'idée lui foutait des maux d'estomac, et devant pareil danger la réaction primaire qu'il adoptait ces temps ci était: la chasse. C'était sans vergogne que le colosse passait une partie de ses soirées à la recherche d'une demoiselle pour calmer ses angoisses et partager son lit. Cette attitude s'apparentait au mode "survie" made in Josh: répandre sa semence dans tous les vagins à sa portée comme pour préserver l’espèce Sullivan alors menacée, car bientôt, lui aussi finirait en quarantaine.
Enfin, la vraie vérité, si vous la vouliez, était que ses amis lui manquaient. Vraiment. Il était devenu de plus en plus compliqué de faire coïncider les emplois du temps de chacun, et les conjoints des un et des autres ne facilitaient pas la tâche. Dans le panier aux crabes des compagnons, il n'y avait que le cachalot qui, si on en oubliait son quart de sang martien, était pas désagréable, Joshua pousserait même le vice jusqu'à dire "de confiance", en prime. C'est pourquoi, quand ils parvenaient à se retrouver, c'était soit au Révolutionnaire, soit chez les Iga.

Mais ce soir, y avait pas un canon à la ronde pour rendre sa soirée belle, et toujours aucun partenaire pour partager un moment. Joshua fit trois pas en avant, circulant dans l'espace confiné tel un gros chat dans son royaume, et passa au crible chaque visage. Alors son œil s'accrocha à la couleur d'un bleu tamisé par les lumières chaudes d'une longue chevelure retenue par deux nattes. Pas de doute qu'il fut question d'une demoiselle, à deviner ses épaules fragiles et sa petite taille, il aurait parié sur une mineure. Elle était trop bien sapée pour l'endroit, entendez par là "trop propre sur elle" pour coller à l'image du pub. Tout ce qu'elle portait semblait avoir été sélectionné avec gout et parcimonie, comme pour bien faire, le même ressentiment d'excellence que l'on retrouve chez les premiers de classe, v'voyez? Mais de son look, Joshua s'en carrait royal, c'était pas ça qui le chiffonnait. Nan, ce qu'il arrivait pas à comprendre, c'était comment pareille gamine pouvait se retrouver là? C'était pas dans le genre de Saya de laisser rentrer une ado à une heure pareille. Et même si son look suggérait des tendances punkettes, ça semblait étonnant qu'elle se soit ramenée ici de son propre chef. Alors Joshua arriva à sa hauteur, et alla poser sa main caleuse sur son épaule, elle se retourna.

- Bah alors, tu t'es paumée?

Le brouhaha ambiant couvrit sa voix, ajouter à cela l'excitation sans pareille de la demoiselle qui semblait trop préoccupée par l'objet de sa venue pour prêter l'oreille aux propos de Joshua. Mais il n'eut pas à se répéter car aussitôt vu, aussitôt dit, elle lui expliqua qu'elle cherchait Nath.
... Depuis quand ce couillon faisait du baby sitting bordel? L'air incrédule sur la trogne de Joshua explicita du même coup le fond de sa pensée prenant un petit temps pour se remettre de sa surprise. Il cherchait dans sa mémoire un début de réponse qu'aurait pu lui fournir Nath au sujet de cette ado mais il avait beau creuser, rien, rien de chez rien ne lui vint.

- Ooookééé...? Navré pour toi miss, mais Nath est rentré chez lui. Il avait sa femme à border. Joshua ne pu réprimer une grimace. Une minute plus tôt, la mignonne avait les yeux pétillants et voilà qu’aussitôt l'info lâchée, elle affichait une moue triste. ...Mais j'vois que j'suis pas le seul à qui il manque ce soir...

Il dévisagea la jeune fille de haut en bas, si, bien sûr, l'animal en rûte se prononça sur la question émettant un "Peut être que...?" qu'il raya aussitôt de son esprit. En mode "survivore", ouais, mais pas au point de toucher dans du mineure même pas à son gout. Non pas qu'elle était vilaine la miss, ah ça non, elle devait avoir sa cour depuis la maternelle celle là. Mais sans parler d'âge, elle ne rentrait juste pas dans les gouts de Joshua. Niet. Nada. Que dalle.

- Tu veux boire quequ'chose? J't'invite. J'aurai mauvaise conscience de laisser une jeune fille trainer dans c'repère à poivrots sans surveillance.

Il leur dégota une table, avec banquette pour la demoiselle. Ils s'installèrent. L'ours bleu se vouta vers l'avant, les deux avant-bras posés sur la table soutenaient le haut de son corps, il braqua ses yeux dans ceux de la jeune fille avec curiosité, un sourire sympathique entre les lèvres, et lui demanda:

- Alors dis moi, qu'est ce que tu lui veux à ce bon vieux Nath?

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MessageSujet: Re: Premiers pas au centre d'un monde | Joshua Ven 19 Déc - 12:52 Répondre en citant

Premiers pas au centre d'un monde


Oh, Sarah, elle est belle mais seulement quand elle est nue, le corps tendu par ses grands airs, mes doigts collés à sa nuque...


La musique l’hypnotisait. Elle sentait son cœur battre, se comprimer, réagir, au rythme de la mélodie. Elle avait déjà chanté ce morceau, bien des fois, mais ce qu’elle produisait ne pourrait jamais, à ses yeux, rivaliser avec l’original. Elle était trop exigeante, presque autodestructrice à ce stade. Ce qu’elle créait, ce qu’elle reprenait, ne valait pas grand-chose. Elle avait bien des fois détruit ses propres projets par dépit, par impuissance, par insatisfaction. Heureusement, Iguchi-san et Miki la poussaient à réussir, à faire naître au bout de ses doigts quelques petites étincelles qu’elle jugeait au moins potables. C’était déjà ça.

Elle avait des rêves, Lily. On se demandait sans doute quels rêves pouvait entretenir une fille qui, à dix-sept ans, était déjà plutôt célèbre, mais beaucoup étaient complètement à côté de la plaque. Et c’était mieux comme ça : s’ils avaient su, son succès se serait tari et elle n’aurait plus rapporté d’argent à la maison. Et elle n’aurait plus pu payer le loyer, les factures, les caprices souvent alcoolisés de sa mère, elle n’aurait plus pu protéger son frère. Mais Lily rêvait, lorsqu’elle se laissait souffler, lorsque ses yeux épuisés se fermaient sur l’oreiller du lit minuscule qu’elle partageait avec son frère, pour un peu de chaleur, un peu de bonheur. Elle rêvait qu’il ne souffre jamais de l’Incontestable, elle rêvait que tous deux soient en paix, ne serait-ce qu’une journée, pour se reconstruire. Elle rêvait de l’impossible au goût trop réel.

Nathaniel lui avait offert de l’espoir, sans effort. Il croyait ce qu’il disait, et ce qu’il disait était porteur d’une vérité qu’elle ne pouvait que savourer, toujours admirative, heureusement assez consciencieuse pour prendre des notes, pour graver en elle et sur le papier les mots qu’il lui donnait. Quand elle était avec lui, elle sentait un peu de calme à la place du feu grondant qui la poussait à se noyer dans le travail, à être toujours plus rentable, pour que son frère, lui, n’ait pas à se fatiguer. Miki, malgré son mètre quatre-vingt et sa carrure bien plus développée, était prompt à aimer. Miki était le plus fragile.

« Ooookééé...? Navré pour toi miss, mais Nath est rentré chez lui. Il avait sa femme à border. »

Un éclat de peine dans son regard. Non pas parce qu’il n’était pas là – elle n’était pas si égoïste, Nathaniel devait survivre, non, il devait vivre – mais parce qu’il était donc piégé. Piégé, emprisonné, vendu comme on vend un animal dans l’espoir qu’à la reproduction il fournisse de bons représentants de la race. Ce système la révoltait sans qu’elle parvienne à exprimer tout ce qu’elle avait sur le cœur à ce sujet. Nathaniel l’avait aidée, écrire l’avait aidée, mais il restait des zones d’ombre, elle le savait.

« ...Mais j'vois que j'suis pas le seul à qui il manque ce soir... »

Un simple hochement de tête. Elle aussi, elle le percevait. Mais son esprit faisait l’impasse sur le regard dont il la couva un instant. Elle ne connaissait le désir que dans les livres, et il ne l’intéressait pas. Elle se disait qu’elle avait du temps avant d’être mariée, qu’elle pouvait encore apprendre à vivre, se fondre dans l’étreinte d’un homme avant de devoir se confronter à un époux dont elle ne voudrait pas, en aucune façon. Naïve enfant. Elle aurait dû savoir pourtant, c’était arrivé à Rika, ça lui arriverait aussi à elle, sans le moindre doute.

Elle était un peu triste, pour l’homme devant elle. Elle voyait la solitude dans ses yeux. La solitude, ça faisait mal. Ça faisait toujours mal. Même quand, comme elle, on avait un allié, au moins un. Oui, elle pouvait et pourrait toujours compter sur son jumeau, mais… Elle voulait parfois être un peu plus sociable, un peu plus sociale. Même lorsqu’elle dirigeait l’assemblée des délégués de son lycée, elle ne se sentait pas… Bien. Il lui manquait quelque chose. Une présence. Un lien, qui viendrait renforcer la trame encore vacillante et fragile de son côté.

« Tu veux boire quequ'chose? J't'invite. J'aurai mauvaise conscience de laisser une jeune fille trainer dans c'repère à poivrots sans surveillance. »

Un sourire se forma sur ses lèvres, ses yeux pétillèrent brièvement. Puis le sourire cessa de contaminer ses yeux, devint factice, et le sentant, elle le fit cesser. Elle n’était pas sur scène, elle n’avait pas à sourire pour conquérir les foules. Elle n’en avait pas envie. Si elle avait pu éviter la horde de fans trop enclins à la voir coucher avec son frère – elle adorait Miki, mais pas comme ça, bon sang ! – elle n’aurait pas hésité avant de s’exiler. Elle voulait juste un peu de tranquillité. Mais avant cela, elle devait conquérir cette paix pour Miki. Elle devait tenir jusqu’à ce qu’ils soient majeurs, tous les deux.

Docile, elle s’était laissée guider jusqu’à une table libre. Elle était assise sur une banquette un peu rêche, mais confortable, ses pieds ne touchant pas le sol. Ce n’était même plus inconfortable à force, elle s’y était habituée. Ses talons se coincèrent sur la barre qui reliait les pieds de la table entre eux. Elle avait l’habitude, mais elle préférait tout de même que ses pieds ne pendent pas dans le vide : à force, ça lui faisait mal aux chevilles.

« Alors dis moi, qu'est ce que tu lui veux à ce bon vieux Nath? »

Cette fois, son sourire fut sincère. Elle reverrait son mentor une autre fois. Rien ne pressait, après tout, il fallait qu’elle le laisse vivre, un peu. Le lien fragile qu’ils entretenaient, à coups de contacts brefs – et jamais en personne, depuis leur rencontre pour l’interview – lui plaisait. Si elle avait décidé de venir le voir, c’était juste sous le coup de l’impulsion, pour voir aussi dans quel milieu il évoluait, et avec quelle aisance. Cet endroit, sa musique, sa populace, lui plaisait. Elle comprenait que le destructeur de gouvernements s’y sente bien – et le nom de l’établissement était redoutablement bien choisi.

« Je voulais juste le voir. Cela va faire quelques mois maintenant, depuis notre première rencontre, et comme il m’avait dit que je pouvais venir ici si je le voulais, j’ai décidé de prendre un peu de temps pour ça. Je ne regrette pas. »

Elle croisa ses doigts aux ongles rongés pour essayer de retrouver un peu de chaleur. Le froid lui faisait mal. Elle trembla un instant, se mordillant la lèvre, et se força à respirer profondément. Il devait exister un rituel pour oublier le froid, non ? Elle se frictionna nerveusement les paumes, ne prêtant pas attention à ses ongles inégaux qui blessaient le dos d’une de ses mains. Son épiderme transi ressentirait la douleur plus tard.

« J’ai froid… Tu crois que je peux prendre un café ? »

Elle aussi était passée au tutoiement, comme si cela lui était naturel. En vérité, c’était un exercice plutôt difficile pour elle. Elle n’avait pas l’habitude d’être… Familière. Enfin, elle en avait surtout très rarement l’occasion. Peut-être parce qu’elle se trouvait souvent, trop souvent à l’écart, peut-être parce que c’était douloureux d’accorder un fragment de confiance à quelqu’un pour se voir poignardé en retour. Elle n’en savait rien. Elle n’avait pas d’ami assez proche pour pouvoir l’affirmer, et ne s’était jamais laissée trahir. Mais elle avait vu les ravages que ça avait fait sur Miki. Si elle se permettait de ne pas se méfier de cet homme, c’était uniquement parce qu’il semblait ami avec Nathaniel et que, oui, elle avait confiance en son mentor.

« Tu t’appelles comment ? Et comment tu l’as connu, Monsieur Nathaniel ? »

Ce n’était pas de la curiosité mal placée. Juste une timide tentative d’ouverture, de socialisation. Son vis-à-vis pouvait peut-être voir sa nervosité – ses mains ne tremblaient pas que de froid. Mais elle avait au moins le mérite d’être franche.


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MessageSujet: Re: Premiers pas au centre d'un monde | Joshua Ven 19 Déc - 16:35 Répondre en citant Editer/Supprimer ce message
Joshua avait du mal à en croire ses oreilles, Nathaniel, l'inviter à passer ici? Son visage lui disait vaguement quelque chose, mais il n'arrivait pas à mettre le doigt dessus. Qui ça pouvait bien être elle? Elle cadrait pas vraiment avec les potes de Nathaniel en temps normal. Une des candidates recalées pour l'audition peut être? Une cousine éloignée retrouvée? Depuis quand il avait du bridé dans sa famille le Nath? Bah. 'Suffisait de le lui demander après tout:

- Mais t'es qui au juste, une fan?

Le visage de l'homme se fendit d'un sourire. L'idée n'était pas sérieuse pour lui. Sans doute parce qu'il n'avait jamais envisagé que l'un des siens puisse être adulé par quiconque. Nath tordait l'opinion d'autrui à son image, généralement les gens le détestait pour ça, il avait tendance à faire fulminer les foules plutôt qu'à plaire. C'était en totale contradiction avec l'image d'une starlette, calquée sur un effet de mode pour plaire au plus grand nombre et amasser des fans.

A sa demande, Joshua hocha la tête, et gueula pour se faire entendre de lui servir un café et une autre pinte de Hoegaarden. Saya lui fit signe et Joshua alla chercher les consommations lui même. S'en retournant à son siège, il déposa le plateau sur la table et enfouit sa main dans la poche de son sweat pour en retirer une poignée de sachet en papier individuel de sucre à l'adresse de la demoiselle.

- T'en voudras?

A sa réponse, il ramassa les sachets en trop et les rangea dans sa poche. Étrange manie qu'il avait développé de récupérer dans chaque bar, restaurant, boite de nuit, hôtel, cybercafé dans lequel il trainait, les sachets de sucre individuels. N'étant pas un gros bouffeur de sucre de nature, il n'aurait pas dépensé un centime pour une brique de cassonade au supermarché du coin et préférait de loin chiper le strict nécessaire dans ce genre de lieux. Si bien que lors de voyage à l’étranger, le cadeau facile et pas cher à offrir à Joshua était une panoplie de sucrettes aux marques diverses. Faute de pouvoir voyager, ça lui en donnait la fugace impression, imaginant la lumière tamisée et l'odeur de tabac froid mêlé à celle de café de ces lieux imaginaires.

L'ado lui demanda alors la base, genre, son nom, ne perdant pas de vue l'objet de ses désirs, Nathaniel, dans la moindre de ses paroles. Joshua se redressa sur son siège montant sa mousse à sa bouche et répondit après en avoir bu quelques gorgées:

- T'as que son nom à la bouche hein? Il rigola, amusé. J'm'appelle Joshua, et toi? De souvenir j'crois bien que c'est là qu'on s'est rencontré la première fois. Il désigna le bar d'un signe de tête. Elle semblait accrochée à ses lèvres, prête à boire la moindre info qui sortirait de sa bouche. Il s'en amusa avant de reprendre avec sérieux. Tu sais ce qui l'a mené ici le père Nath? ...Certains te diront que c'est pour l'Incontestable, briser les chaines d'un peuple réduit à l'état d'esclave depuis trop longtemps... C'est vrai. Y a de ça. Mais pas que.

Le géant bleu avait rapproché son museau d'elle, l'invitant d'un signe de la main à se rapprocher d'un peu plus près pour écouter ses confidences. Il sentait le cuir chaud, le tabac froid et la bière.

- ... La vérité vraie c'est qu'il est question d'une femme. D'une femme et de son môme, qu'il cherche à venger. Il la dévisagea, guettant sa réaction et après un bref silence, reprit. Il est pas devenu ce qu'il est sans raison t'sais...

Il se laissa retomber sur le dossier de sa chaise, chopa son paquet de cigarettes, et en fit griller une au bout de ses doigts.

- "On fait pas d'omelette sans casser des oeufs". Il tira sur son filtre, et balança comme une évidence. "Fight Club", de David Fincher.

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MessageSujet: Re: Premiers pas au centre d'un monde | Joshua Ven 19 Déc - 20:20 Répondre en citant

Premiers pas au centre d'un monde


Oh, Sarah, elle est belle mais seulement quand elle est nue, le corps tendu par ses grands airs, mes doigts collés à sa nuque...


Lily s’amusait à regarder l’homme en face d’elle. Elle avait vu sa surprise et avait répondu d’un sourire taquin, adorable – mais ça, elle n’en avait pas conscience et elle s’en fichait. Elle savait qu’elle n’avait pas vraiment sa place ici, elle qui n’était même pas mineure. Elle se moquait des conventions, lorsqu’elles étaient aussi stupides. Elle ne craignait rien, selon son échelle de valeur. Elle savait remballer les poivrots un peu trop insistants, manipulant avec doigté une verve acérée, et dans son âme, elle était bien trop adulte pour son propre bien.

« Mais t'es qui au juste, une fan? »

Elle répondit à son sourire presqu’ironique par une expression semblable, mais choisit d’attendre avant de répondre. Elle avait du temps devant elle, après tout. Avant qu’elle tombe de fatigue, malgré sa rude journée, il s’en passerait, du temps. Elle avait développé une forme d’endurance malsaine face à l’épuisement. C’était dangereux, si jeune. Iguchi-san lui aurait fait tout un sermon sur les forces dont avait besoin une adolescente. Elle avait hâte que son corps rattrape son esprit en matière de maturité. Elle souffrait de cet écart.

Elle frémit de ravissement en s’emparant de la tasse, si chaude sous ses doigts sensibles et transis. Son corps se détendit sensiblement alors qu’elle fermait brièvement les yeux. Pour savourer. Quand elle devrait rentrer chez elle, elle aurait à nouveau froid dans la nuit tourbillonnante. Un jour, elle investirait dans un chauffe-mains. Quand elle aurait un micro-ondes pour le faire fonctionner. Ce qui n’était pas gagné, avec le dernier caprice de sa mère. Un lit ! Elle avait acheté un foutu lit, alors que l’ancien était encore très bien. Et un king-size, avec ça. Pour le loyer, elle n’avait aucune idée de comment Miki et elle pourraient s’en sortir cette fois. À part se rendre malades sous le travail, tous les deux, il n’y avait pas vraiment de solution pour cette fin d’année. Le propriétaire de l’appartement ne les laisserait pas payer plus tard.

Elle posa un regard étonné sur tous les petits sachets de sucre qu’il lui montra, puis se mordilla la lèvre avec un sourire. C’était… Mignon. Même si l’adjectif ne collait pas du tout avec l’homme en face d’elle, ça l’était. Elle choisit deux sachets parmi ceux qu’il avait en plus grand nombre – ça avait l’air d’être un peu comme une collection et elle s’en serait voulu de la troubler, qu’elle versa dans son café, avant de le mélanger et de le boire, même s’il était brûlant. Cela lui fit un bien fou, au point qu’elle se laissa aller à soupirer, les yeux fermés de plaisir. Avant de se reprendre et de continuer à réchauffer ses mains sur la tasse.

« T'as que son nom à la bouche hein? J'm'appelle Joshua, et toi? De souvenir j'crois bien que c'est là qu'on s'est rencontré la première fois. Tu sais ce qui l'a mené ici le père Nath? ...Certains te diront que c'est pour l'Incontestable, briser les chaines d'un peuple réduit à l'état d'esclave depuis trop longtemps... C'est vrai. Y a de ça. Mais pas que… La vérité vraie c'est qu'il est question d'une femme. D'une femme et de son môme, qu'il cherche à venger. Il est pas devenu ce qu'il est sans raison t'sais... »

Elle hocha paisiblement la tête, baignant dans son odeur, peu commune mais pas désagréable. Ses mots sonnaient comme une musique. Elle n’avait jamais demandé à Nathaniel pourquoi il était venu se faire soumettre à une dictature, lui qui les haïssait. Elle ne savait même pas si ce que lui disait Joshua était vrai, mais elle demanderait à son mentor quand elle le reverrait, ou quand ils se recontacteraient. Elle ne savait jamais quand cela arrivait, c’était de l’ordre du hasard, du coup de tête, du besoin. Une errance tranquille et satisfaisante. Une errance qui leur correspondait sans doute assez bien pour qu’ils s’en contentent.

« "On fait pas d'omelette sans casser des œufs – Fight Club, de David Fincher". »
« Je connais. Je l’ai vu qu’une fois, mais j’ai bien aimé. J’ai juste pas le temps ou l’argent pour acheter des films. Un jour, je le reverrai. »

Elle but encore une gorgée de café, s’ébrouant presque visiblement. C’était son tour de raconter, elle le percevait comme si Joshua le lui avait dit. Alors elle se mordilla la lèvre inférieure, respira paisiblement une bouffée de l’odeur de son vis-à-vis, qu’elle trouvait plutôt apaisante, malgré ce côté piquant qui n’était pas désagréable. C’était différent de l’odeur de Miki ou de celle de sa mère. Elle se secoua à nouveau mentalement, se préparant à reprendre la parole, et se lança enfin.

« Je m’appelle Lily. »

Bon, c’était un bon début. Et le plus simple. Elle prit encore le temps de respirer avant de poser des mots sur ce qui restait l’un de ses meilleurs souvenirs, malgré le caractère plutôt… Décalé de cette expérience. Certains l’auraient jugée commune, d’autres, stupide, mais pour elle, c’était infiniment précieux.

« J’ai rencontré Monsieur Nathaniel grâce à projet lancé par le club d’écriture de mon lycée. Il m’a fallu un moment pour trouver sa bibliographie, puis encore presque deux semaines pour oser entrer en contact avec lui. Je suis pas vraiment quelqu’un de sociable, malgré mon métier, j’avais peur qu’il m’envoie bouler. Mais il a accepté de me rencontrer pour discuter de sa pensée. Cette rencontre m’a fait un bien fou, parce qu’à ce moment-là, je pensais beaucoup de choses à propos du Japon. C’est toujours le cas, d’ailleurs, mais maintenant, je sais exactement ce qui ne va pas, et pourquoi. »

Elle soupira, son regard se voilant, et en vint à ce qui motivait son besoin de revoir l’artiste qu’elle admirait tant. La révolte grondait dans son cœur perturbé, déséquilibré, aiguillonnant la peur qui n’en avait nul besoin, stimulant la colère pourtant déjà bien assez présente. Elle avait mal, même maintenant, et ses ongles inégaux s’enfoncèrent légèrement dans le bois usé de la table, dont le vernis protecteur se décollait par endroits. Elle se força à respirer, même si sa poitrine était douloureusement comprimée, étouffée.

« J’aimerais le revoir, parce qu’il y a un ou deux mois, une de mes camarades de classe s’est suicidée après avoir reçu sa lettre. J’ai peur… J’ai peur que ce soit mon tour, ou celle de mon jumeau. J’ai peur de devoir déménager et de ne plus pouvoir le protéger, me protéger. Je ne veux pas être vendue comme on vend un chien ou un cheval, pour son caractère reproducteur, que ce soit maintenant ou dans dix ans, ou même vingt ans. Je sais qu’il est capable de faire changer les choses, mais pas seul. Alors je veux l’aider, même si je suis passive, même si je suis faible, même si je ne suis qu’une enfant. »

Elle était lucide. Elle savait qu’elle ne valait pas grand-chose, mais elle se dégradait bien plus que de raison. Elle avait déjà la mentalité, la maturité, la volonté. Il ne lui manquait que les moyens et l’estime de soi. Mais ça… Même Miki n’était pas capable de lui en offrir. Elle ne cessait de se dénigrer. Elle soupira, croisant les mains sur la table. Le bois frais ne lui avait rien fait, inutile de le martyriser avec ses ongles.

« Je crois en son idéal, en ses projets. Et je crois que toi aussi. »

Un moment d’observation, étrangement à la fois léger et intense. Tranquille. Elle avait parlé, elle avait allégé son cœur, ça allait mieux désormais. Elle passa une main fatiguée sur ses traits encore trop enfantins. Un sourire se dessina sur ses lèvres, timidement. Elle trouvait la compagnie de Joshua agréable, et même si lui aussi souriait fréquemment, elle n’aurait su dire si elle l’ennuyait ou non.

« Tu es artiste, ou quelque chose qui touche à l’art, non ? Moi, je suis idole. J’aime pas trop jouer les poupées pour le grand public, mais faut bien payer le loyer, et puis, qui sait, ça me permettra peut-être un jour de faire passer mon point de vue à propos de la boîte de conserve, là. »

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MessageSujet: Re: Premiers pas au centre d'un monde | Joshua Mar 23 Déc - 11:39 Répondre en citant Editer/Supprimer ce message
Enfin elle lui lâcha son nom. De suite ça lui fit écho à une chanson que lui avait fait écouter récemment Nathaniel venu de son pays d’origine, du même nom:

For every step in any walk
A chaque pas dans chacune de tes marches
Any town of any thought
Dans chaque ville de chacun de tes rêves
I'll be your guide
Je serai ton guide

For every street of any scene
Sur chaque route de n'importe quel lieu
Any place you've never been
Dans tous les endroits où tu n'es jamais allée
I'll be your guide
Je serai ton guide

Lili, you know there's still a place for people like us
Lili tu sais qu'il reste une place pour les gens comme nous
The same blood runs in every hand
Le même sang coule dans chaque main
You see its not the wings that makes the angel
Tu vois que ce ne sont pas les ailes qui font l'ange
Just have to move the bats out of your head
Tu dois seulement faire sortir les démons de ta tête

Ça sonnait presque trop bien avec ce qui allait suivre. Nathaniel en exposé de cours? Joshua manqua de s’étouffer avec sa bière. Il voyait d’ici la gueule de l’affiche, la seule photo potable du mec trouvable sur le net devait être obligatoirement accompagné d’un doigt d’honneur et de sa sale trogne floue en train d’insulter le premier paumé du secteur, ça posait le décor, remarquez. Pour le reste, ses textes prenant clairement un parti radical avait du remuer plus d’une vague dans son petit lycée de campagne et il aurait bien aimé voir de près la réaction des jeunes. Quand même, ça lui décrocha un sourire de savoir que dans les écoles, le cerveau des ados étaient pas complètement réduit à l'état de petit pois, et que y avait encore quelques têtes pensantes pour avoir un avis ou deux sur le monde pour lequel ils se préparaient. Pourtant sa dégaine le laissait franchement pas à penser. Il aurait pas cru qu’elle se rangeait dans la conscience rebelle en voyant ses cheveux trop lisses et ses godillots trop propres. Lui qui d’habitude ne jugeait pas au faciès, voila qu’il se surprenait à le faire. "Damned, on n’m’y reprendra plus."
Puis elle lui causa de Nathaniel aussi efficace qu’une pommade miracle contre les démangeaisons, il lui avait fait "un bien fou". Y avait une autre info que Joshua avait relevé, c’était son... "métier"? Hein? Mais elle venait pas de lui dire qu’elle était lycéenne juste avant? C’était pas un peu tôt pour avoir un job?

Joshua attendait la suite, les yeux braqués sur elle, attentif. Elle marqua une pose, et son visage se teinta de tristesse. Ce qu'elle avait à dire ne semblait pas facile à sortir et alors qu'elle grattait le bois de la table, elle parla du suicide. Bordel, c'était quoi le plus dingue dans cette histoire: qu'on mariait un môme avant même qu'il ait pu vivre ou que personne ne réagissait face au suicide de l'enfant? Enfin, VRAIMENT réagir, pas se contenter de trois bougies sur le mur du bahut merde!

« ...J’ai peur que ce soit mon tour, ou celle de mon jumeau. J’ai peur de devoir déménager et de ne plus pouvoir le protéger, me protéger. Je ne veux pas être vendue comme on vend un chien ou un cheval, pour son caractère reproducteur, que ce soit maintenant ou dans dix ans, ou même vingt ans. Je sais qu’il est capable de faire changer les choses, mais pas seul. Alors je veux l’aider, même si je suis passive, même si je suis faible, même si je ne suis qu’une enfant. »

Joshua resta silencieux à fixer la demoiselle comme s’il cherchait à la sonder. Cette peur était l’héritage de tout un pays. Lui aussi craignait ce jour. Tous le craignait, enfin, il l’espérait. Mais la peur n’était pas un moteur suffisant, elle en était les prémisses, tout au plus. Il fallait pouvoir la dépasser pour parler de révolte, de lutte. Malgré ça, son souhait restait noble et ça picotait franchement la ligne de l’espoir dans le creux de sa main.

- Et t’as des petits copains qui pensent comme toi ou t’es la seule? ...Et ta famille?

Un mouton noir trainait souvent derrière lui d’autres collègues de son espèce. Autant de personnes susceptibles d’être porteurs de colère. Mais aussi, Joshua se méfiait. Nathaniel avait tendance à foncer dès qu’il voyait une porte entrouverte, il disait pas, là dessus il était pas mieux. Mais il fallait que ça change un peu à ce sujet. Ils s’étaient lancés dans une entreprise vraiment dangereuse en créant le site des Incontrôlables et en préparant le push à venir en début d’année. Chaque personne venant à eux était susceptible d'être un flic ou une balance. Particulièrement les jeunes gens trop facilement manipulables.

Et finalement la conversation bifurqua sur des sujets plus légers. Ce qui n’était pas un mal. Josh n’aimait pas avoir à serrer les dents dès qu’on effleurait le sujet des Incontrôlables pour pas filer des infos à des gens mal intentionnés. Il avait besoin de connaitre un minimum la personne pour s’aventurer sur le sujet. Tout du moins impliqué Abbey, Daisy, Sagitta et Nath (quoi Kato?) dans le même temps et risquer de les démasquer. En dehors de ça il avait pas à forcer pour cracher à la gueule de l’Incontestable à qui voulait bien l’entendre.

- Ouais, j’dessine.

Il préféra rester bref, connaissant que trop bien la chanson, lorsqu’il sortait "illustrateur et chara designer", ça s’embrouillait dans l’esprit des gens qui voyait pas du tout de quoi il retournait. Alors fallait sortir les belles phrases du dico pour expliquer en quoi consistait son taf et surtout rappeler à autrui, que oui, il s’agissait bien d’un métier et non d’un passe-temps. Le mot "dessin" était un bon
résumé qui se suffisait à lui même.

- Idole? Il se fendit d’un sourire amusé. Ça consiste en quoi ça? T'es une sorte de mannequin en fait nan?

C’était pas son monde ces trucs là. Pire, il le comprenait pas. Ce monde de paraître le renvoya à son clash avec miss Cyborg au festival de l’Image où il était allé quelques semaines plus tôt. Cette connasse qui lui avait tenu tête confrontant son monde de paillettes insignifiant à ses mickeys porteurs de rêve. La confrontation avait failli se terminer en baston générale. Lily lui rappela cette fille, non pas pour ses idées, mais pour ce monde qu’elle disait côtoyer.

- Tu m’excusera hein, mais j’ai du mal à concevoir qu’on puisse penser et agir de manière aussi contradictoire. Tu m’dis que tu veux contrer le système en aidant des gens comme Nath et dans l’même temps t’es engluée dans l’système en te vendant comme des goodies au public nippon. Dans mon regard à moi, ça tient pas la route ton histoire. Et pour en revenir à ta peur du mariage, ça suffit pas d’avoir peur, même si t’as raison, on flippe tous à l’idée d’être enchainé à quelqu’un qu’on a pas choisi comme ça, il claqua des doigts, sans prévenir. Mais si tu la contrôles pas ta peur, si tu la dépasse pas pour la mettre au service de ta volonté d’agir, de ta hargne, ça sert à rien, tu pourras pas nous aider.

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Premiers pas au centre d'un monde


Oh, Sarah, elle est belle mais seulement quand elle est nue, le corps tendu par ses grands airs, mes doigts collés à sa nuque...


Elle attendait, elle était patiente, une gentille fille. Peut-être un peu terne. Un peu invisible dans l’ombre de son frère. Mais certains ne s’y trompaient pas, certains s’arrêtaient devant son reflet, la regardaient, puis reprenaient leur route. Il ne fallait jamais plus que l’échange d’un regard pour qu’elle se souvienne d’un visage. Pour qu’elle se demande si on lui ferait du mal. Quand avait-elle cessé d’être une enfant ? Elle n’avait pas la réponse à cette question, et encore moins l’envie de la trouver. Si elle la trouvait, Miki saurait et s’inquiéterait. Et puis, elle ne voulait pas qu’il y ait une frontière, un avant et un après. Elle voulait que son existence soit fluide comme de l’eau, secouée comme un torrent et immense comme l’océan. Elle voulait être prise comme acquis, parce qu’on ne relève pas la présence d’un acquis, pas tant qu’il est là. Elle voulait être libre.

Elle n’était pas libre, là. Son métier la contraignait à une forme de prostitution enfantine – pouvait-on dire qu’il s’agissait d’autre chose quand un scandale présentait une gamine de quinze ans qui allait faire la fête, boire et se droguer, et tombait enceinte, comme toujours quand une enfant ne comprend pas le besoin de se protéger ? – et elle protégeait son frère avant tout, avant elle-même. Oui, quand on y réfléchissait, elle était un peu une prostituée, sans le côté sexuel du métier. Beaucoup d’idoles terminaient d’ailleurs à faire le tapin dans la rue pour quelques milliers de yens. Elle, elle ne pourrait pas. Elle respectait ce métier et la nécessité de survivre, mais elle était incapable de son montrer si vulnérable aux désirs de quelqu’un.

« Ouais, j’dessine. »

La voix de Joshua la tira de ses pensées – et franchement, elle en avait bien besoin. Elle sourit délicatement. Elle aurait bien aimé dessiné, mais ses doigts étaient trop maladroits quand elle n’était pas occupée à coudre. Mais elle avait déjà du mal avec les kanjis, alors le dessin... Ça dépassait de loin son domaine de compétences. De toute façon, elle était trop jeune pour que ça ramène de l’argent à la maison – pas assez de temps pour se faire une notoriété. Elle soupira. Depuis quand l’art était-il devenu un outil pour gagner sa vie plutôt qu’un plaisir ? Sans doute depuis qu’elle avait un loyer à payer…

« Idole? Ça consiste en quoi ça? T'es une sorte de mannequin en fait nan? »

Elle secoua la tête. Le mannequin, c’était Miki, même s’il lui arrivait de poser pour un magazine ou l’autre quand c’était nécessaire. Elle se sentit, pendant une seconde, profondément dégoûtée par la marchandise qu’elle était devenue, avant de se reprendre. Il fallait survivre. Et tant pis si ça se faisait dans l’irrespect de ses souhaits. De toute façon, ses envies, ses espoirs, son rêve de devenir historienne, tout ça, ça ne rentrait pas en ligne de compte. Pas pour l’instant, pas alors qu’elle n’était qu’une charge dans le système, pas alors que son frère et elle n’étaient pas tirés de ce merdier dans lequel leur mère alcoolique les confinait.

« Tu m’excusera hein, mais j’ai du mal à concevoir qu’on puisse penser et agir de manière aussi contradictoire. Tu m’dis que tu veux contrer le système en aidant des gens comme Nath et dans l’même temps t’es engluée dans l’système en te vendant comme des goodies au public nippon. Dans mon regard à moi, ça tient pas la route ton histoire. Et pour en revenir à ta peur du mariage, ça suffit pas d’avoir peur, même si t’as raison, on flippe tous à l’idée d’être enchainé à quelqu’un qu’on a pas choisi comme ça. Mais si tu la contrôles pas ta peur, si tu la dépasse pas pour la mettre au service de ta volonté d’agir, de ta hargne, ça sert à rien, tu pourras pas nous aider. »

Elle se contenta de hausser un sourcil. Elle avait dépassé depuis longtemps la colère qui lui rongeait le cœur quand elle se sentait piégée. Elle avait grandi, bien trop vite, tout comme son frère. Alors, en adulte, elle choisit soigneusement ses mots avant de répondre. De toute façon, il ne la connaissait pas, alors elle pouvait bien parler, ça ne poserait pas de problème.

« Tu n’as pas toutes les cartes en main. Tu vois, j’aime pas mon travail. Mais je le fais. Je le fais parce qu’il faut bien que quelqu’un rapporte de l’argent à la maison. Mon jumeau bosse aussi. C’est lui, le mannequin. Ma mère, elle, elle ne fait plus rien depuis la mort de notre père. C’est l’Incontestable qui a fait en sorte qu’on soit créés, et quand le seul revenu du loyer a été abattu, l’Incontestable nous a juste jartés de la maison, et on a dû se débrouiller. Je travaille depuis que j’ai douze ans, parce que je veux pas que les Yakuzas s’en mêlent, qu’ils fassent du mal à mon frère. Travailler, même si ça me rend malade d’être un putain d’objet, c'est le meilleur moyen de le protéger. »

Elle n’avait pas détourné la tête, elle avait assumé ses mots et ce qu’elle était. Ce qu’elle vendait et devrait encore vendre jusqu’à la majorité.

« Tu as dit toi-même qu’on a tous une raison personnelle de se battre. C’est vrai. Même l’humaniste le plus altruiste qui soit a quelqu’un ou quelque chose à protéger. Moi, je protège mon frère. »

Elle soupira, reprenant un peu courage. Elle était déterminée. Déterminée à abattre ce système, à construire quelque chose de plus juste en lieu et place. Parce que ce qu’il se passait au Japon était tout sauf juste.

« Je t’ai dit que le mannequin, c’était mon frère. Moi, je suis surtout chanteuse. Mon manager m’a donné le droit de choisir ce que je chantais. Je compose, j’écris, je choisis des chansons qui font passer mon message et mon avis sur le trou dans lequel le pays s’est fourré. On t’a déjà parlé de la force des mots ? Monsieur Nathaniel l’a sans doute fait, lui qui écrit si bien. Je crois en ce pouvoir. Les mots se mettent au service du message. Je crois au pouvoir de la musique aussi. Je me dis que des chansons, si elles ne peuvent pas à elles seules changer les choses, peuvent au moins instiller dans l’esprit de celui qui les écoute que oui, c’est possible. »

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MessageSujet: Re: Premiers pas au centre d'un monde | Joshua Sam 3 Jan - 14:36 Répondre en citant Editer/Supprimer ce message
C'est drôle comme votre histoire vous façonne de manière plus ou moins ordinaire ou improbable. Ce que vous vous mangez dans la gueule vous pousse à vous adapter, à évoluer, dans un sens ou dans un autre, c'est sur ces choix là que se base toute votre identité. Si y avait pas eu la mort de son daron, et les désagréments qui s'ensuivirent, cette fille là elle aurait peut être jamais ressentie le malaise nippon de manière aussi prépondérante. Elle en aurait conscience, ouais, surement, mais elle aurait pas eu les mêmes prédispositions à se battre. Joshua lui imaginait alors une toute autre vie, une jolie jeune fille couplée avec son frangin à siroter du soda en se baladant dans un parc avec son amoureux au bout du bras, promu à un avenir brillant. Mais nan, il avait fallu d'un accident tragique pour briser cette vision idyllique et faire de Lily un pokemon warrior déterminé par la suite.
Enfin, il supposait que c'était ça qu'elle essayait de lui dire. Parce qu'autrement il ne voyait pas bien le lien entre l'Incontestable et le fait qu'elle doive se démener pour protéger les siens. Peut être qu'elle avait préféré voir en l'ordinateur le responsable de ses galères, alors que dans sa tête à lui, c'était la mère la responsable, à rien branler de ses journées, ou bien que comme elle semblait le dire, la protection de son frère était la seule chose qui lui importait, et que l'Incontestable était la menace ultime qui les sépareraient.
Ouais, ça devait être un truc comme ça.

Joshua ne pouvait pas s'imaginer ce que ça faisait de perdre un parent si jeune, et n'allait pas en faire des tonnes pour la peine, ça aurait été hypocrite. Mais il pouvait l'imaginer, et il ressentait de l'empathie pour elle, pour sa galère quotidienne. Et pour ce qui était de la protection fraternelle, il était plutôt bien placé pour connaitre ses craintes. Mais dans l'histoire, il avait pas à juger, c'était sa manière de voir, son combat, ce qui l’intéressait lui, c'était les fondements de sa motivation.

Elle lui expliqua son job, elle était chanteuse et compositrice. Un "Ah?" curieux et agréablement surprit ponctua sa pensée. Le voilà le lien avec Nathaniel. Une bouffeuse de mots elle aussi. Joshua ce qui le touchait le plus dans la musique, c'était pas spécialement les textes, il aimait pouvoir rêver sur une tranche de notes joliment composées. Une chanson à texte impliquait de se plier au message du chanteur, et ne laissait pas champ libre à l’interprétation personnelle, à l'imaginaire. Mais Nath avait réussi à lui faire apprécier un peu plus que d'ordinaire les chansons à texte. Mais pour lui, la grande majorité restait pantouflard et trop timide pour être porteur d'un message fort. Mais il allait pas cracher dessus, loin de là, tout art était pour lui hautement respectable, davantage quand il était porteur d'un message aussi important que celui là. Mais là n'était pas le sujet, c'était une parenthèse qui lui permettait de mieux comprendre les choix de Lily. Il aurait pu creuser le sujet car il avait encore pas mal de questions sous le coude mais il préféra les garder pour plus tard.

- Mes condoléances pour ton père.

L'ours bleu prit sa pinte et la leva comme pour lui rendre hommage, avant d'en boire la dernière gorgée. Il marqua un silence, avant de poursuivre:

- T'as conscience qu'on a aucune garantie d'y arriver, c'est même plutôt tout l'inverse si on en croit la côte de l'Incontestable. Y a de fortes chances pour que le changement s'opère sur plusieurs générations, et que ton frangin se retrouve maqué de force à une femme ou un homme et qu'tu puisses rien y faire et ce, jusqu'à sa mort.

Il se faisait l'avocat du Diable, mais cette remarque lui serra les dents autant qu'à elle. Il avait beau dire et jouer les mecs pragmatiques, ça voulait pas rentrer cette info concernant Abbey. Même si au final, elle était pas trop mal tombée. Une chance.

- Moi aussi j'ai une frangine. J'ai beau savoir ça, j'refuse de l'entendre. Mais ça c'est parce que j'suis un crétin, et que c'est comme ça que j'ai choisi d'avancer. Mais c'est pas ton cas, toi t'es une fille brillante. Alors, s'il finit par marier ton frère, tu fais quoi? Tu le sépare de sa meuf? Tu l'tues. Tu l'entraines dans ta lutte? Tu l'tues aussi. Tu la tues? Y aura plus personne pour le protéger vu qu'tu finirai sur la chaise. Tu nous r'joins? Ca revient à peu près au même que d'se tuer en continuant à croire au p'tit Jésus. Tu seras plus là pour lui. C'est une cause plus grande qu'il faudra viser, un combat pour tous. Et c'est pas non plus sans risque pour lui. Si la milice de l'Incontestable remontait jusqu'à toi, il pourrait très bien condamner ton frère au passage, pour collaboration avec un groupe terroriste, ou je sais pas quelle connerie du genre.

Joshua coinça une clope entre ses lèvres, et l'alluma. Tirant sur son filtre, un filet de fumée s’échappa bientôt entre ses canines.

- T'es une bosseuse, et surtout, t'es forte. C'est bien. Mais si on t'enlève ton frère, qu'est ce qu'il reste de ta flamme? Tapotant son index à l’extrémité de sa cigarette, il fit tomber un petit monticule de cendres devant elle, larguant ses détritus à même la table. ...Ça? Il désigna les cendres d'un signe de tête.

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MessageSujet: Re: Premiers pas au centre d'un monde | Joshua Sam 24 Jan - 21:55 Répondre en citant

Premiers pas au centre d'un monde


Oh, Sarah, elle est belle mais seulement quand elle est nue, le corps tendu par ses grands airs, mes doigts collés à sa nuque...


Les souvenirs étaient douloureux. Pourtant, pour rien au monde elle aurait accepté de ne pas s’y replonger. Ses souvenirs étaient l’une des trois composantes de ce qu’elle était, la seconde en importance. La première, c’était son âme, et la dernière, son corps. Elle avait besoin de ce qu’elle était, de chaque trait de caractère en sa possession, de chaque souvenir qui la hantait, de chaque angle ou courbe de sa silhouette, si elle voulait avoir une chance de porter le foyer. Pour l’instant, c’était difficile, parce qu’en tant que mineure, ses revenus étaient limités, mais ça se faciliterait quand elle serait majeure. Elle n’avait pas l’intention d’abandonner sa famille.

Pour rien au monde elle n’aurait admis devant Joshua qu’il l’intimidait. Carrure solide, voix grave et puissante, aura d’assurance tranquille… Son contraire. Lui, on pouvait juste pas passer à côté, alors qu’elle, elle se fondait dans les ombres jusqu’à devenir invisible, parce que c’était la seule manière qu’elle avait trouvée d’être en sécurité, d’affûter ses armes. Elle était du genre sincère, mais pas au point de dire à cet homme à quel point il avait l’ascendant sur elle. Elle ferma les yeux, se reprit d’une petite impulsion mentale. C’était un ami de Nathaniel, un ami de son mentor. Il ne lui ferait pas de mal.

Elle soupira, but encore une gorgée de café. Sa tasse était presque vide. Elle serra ses doigts contre la tasse, encore tiède entre ses mains. Le froid mordait ses bras exposés, lacérait son dos fragile. Elle aurait voulu avoir ne serait-ce qu’une écharpe, mais Iguchi-san avait été intraitable à ce propos : elle devait venir au travail dans la tenue qui lui était demandée, quand on lui en demandait une. Et au fond, elle était bien d’accord : les essayages, ça pouvait lui faire perdre du temps, et donc de l’argent, ce qu’elle cherchait à tout prix à éviter. Elle devait juste serrer les dents et pester contre ce maudit froid.

Encore une fois, ses pensées dérivèrent vers Miki. Lui, il avait toujours chaud. C’était pour ça, entre autres, qu’ils dormaient dans le même lit une place, se roulant en boule sous une couverture mince et franchement en piteux état. Peut-être qu’ils étaient mignons, lui si solide et elle si fragile… Mais ils n’y songeaient pas. Malgré les accusations d’inceste qui commençaient à voir le jour, à gauche, à droite, et contre lesquelles elle se battait comme elle le pouvait pour que son frère n’en fasse pas les frais, elle refusait de s’écarter de lui plus qu’elle ne le faisait déjà. Sauf si c’était pour le protéger. Elle se sentait vide et vulnérable sans lui.

« Mes condoléances pour ton père. »

En réponse, elle hocha la tête, leva sa tasse en même temps que lui, et but ce qu’il lui restait de café. Elle en aurait repris si ç’avait été possible. Déjà, ses doigts se refroidissaient. Elle les frictionna comme elle le pouvait, tentant de gratter un peu de chaleur. Cela ne servait à rien, bien sûr, pas alors que la chaleur dans ses paumes venait de s’évaporer. Inconsciemment, elle se mit à trembler. Même si le bâtiment était isolé, le froid s’était incrusté sur ses vêtements, sa tenue trop légère. Même les bras de Joshua, qu’elle commençait pourtant à peine à connaître, devenaient tentants pour fuir se froid-là. Elle se gifla mentalement. On n’étreignait pas les inconnus. Même quand ils sentaient bon et étaient gentils.

« T'as conscience qu'on a aucune garantie d'y arriver, c'est même plutôt tout l'inverse si on en croit la côte de l'Incontestable. Y a de fortes chances pour que le changement s'opère sur plusieurs générations, et que ton frangin se retrouve maqué de force à une femme ou un homme et qu'tu puisses rien y faire et ce, jusqu'à sa mort. »

Elle serra les dents, ferma les yeux un instant, parce que bordel, ça faisait mal. Elle ne voulait pas penser à ça, mais n’avait jamais cherché à jouer les autruches. Si la vérité faisait mal, alors il fallait la dire. Elle retrouva le regard de Joshua, s’y plongea sans prendre la précaution de porter son masque. Il le savait, de toute façon, qu’elle avait peur. Que cela la rendait encore plus forte. Elle était de ceux qui, plutôt que rugir, préféraient murmurer. On assimilait mieux une information sans s’en rendre compte.

« Moi aussi j'ai une frangine. J'ai beau savoir ça, j'refuse de l'entendre. Mais ça c'est parce que j'suis un crétin, et que c'est comme ça que j'ai choisi d'avancer. Mais c'est pas ton cas, toi t'es une fille brillante. Alors, s'il finit par marier ton frère, tu fais quoi? Tu le sépare de sa meuf? Tu l'tues. Tu l'entraines dans ta lutte? Tu l'tues aussi. Tu la tues? Y aura plus personne pour le protéger vu qu'tu finirai sur la chaise. Tu nous r'joins? Ca revient à peu près au même que d'se tuer en continuant à croire au p'tit Jésus. Tu seras plus là pour lui. C'est une cause plus grande qu'il faudra viser, un combat pour tous. Et c'est pas non plus sans risque pour lui. Si la milice de l'Incontestable remontait jusqu'à toi, il pourrait très bien condamner ton frère au passage, pour collaboration avec un groupe terroriste, ou je sais pas quelle connerie du genre. »

Elle ne put s’empêcher d’avoir un rire, un petit rire amer. Elle, une fille brillante ? Par tous les dieux, non. Elle n’était pas brillante. Juste un petit élément qui voguait et dérivait, inutile. Elle était bonne pour jouer la comédie, c’était ça qui l’avait amenée à se faire sa place dans un quartier dangereux, sans doute parmi les trois pires de la ville. Elle s’était fait un allié de son voisin, marchand d’arme, qui n’avait pas hésité à intervenir quand elle s’était faite agresser par une bande de gars qui avaient mal pris son refus de se faire baiser – faute d’un mot plus correcte – entre deux garages. Les riches pensaient souvent que ce genre de situations, ça tenait du cliché, mais ils avaient tort.

Si ce n’avait pas été son gagne-pain et la raison de sa survie, elle aurait regretté d’être jolie. Enfin, elle avait tout de même ce petit quelque chose qui faisait que les gens avaient tendance à l’écouter. Du coup, c’était plus facile de manipuler les gens dont elle connaissait « par hasard » les petits secrets. Oh, elle n’était pas fouineuse de nature, pas pour un sou, mais quand un dealer vous menaçait, mieux valait avoir de quoi le remettre à sa place si on tenait à la vie. Lily, elle, elle avait choisi, puisqu’elle ne pouvait pas vraiment frapper et espérer faire mal à quelqu’un d’autre qu’elle-même, de connaître le point faible de ceux qui menaçaient sa famille. Tout le monde avait un point faible, et parfois, ses découvertes la dégoûtaient. Comme ce gars, là, qui avait une collection de vidéos pédopornographiques dans son ordinateur… Mais ça, c’était Miki qui l’en avait informée. Elle ne savait pas comment il avait pris le temps d’apprendre à hacker, mais en tout cas, il s’en sortait bien.

« T'es une bosseuse, et surtout, t'es forte. C'est bien. Mais si on t'enlève ton frère, qu'est ce qu'il reste de ta flamme? ...Ça? »

Elle posa un regard songeur sur les cendres. Était-elle si vide ? Elle savait bien que non. Elle réprima une légère toux, plutôt due à sa fragilité et au froid qu’à la cigarette qui ne la dérangeait pas du tout, et tenta de formuler une réponse. Elle avait du mal à manier les mots ces derniers temps, depuis le suicide de Rika en fait. Elle ressentait tellement de choses trop intenses, qu’elle avait besoin de coucher sur le papier, et Nathaniel n’était pas là cette fois pour aider sa pensée à se former. Et puis, elle avait déjà réussi sans lui, elle pouvait le refaire, elle le savait. Mais le fait qu’elle avait moins de huit heures par jour pour elle-même n’aidait en rien. Il fallait du temps pour penser.

« Je crois pas. Je ne connais pas l’avenir, et toi non plus d’ailleurs. Et je suis trop jeune pour savoir exactement de quoi je suis capable, même si j’aimerais bien, histoire de pas prendre des risques stupides à chaque fois que je dois traverser mon putain de quartier. »

Elle ferma les yeux, joignit les mains dans l’espoir de trouver un peu de chaleur. C’était vain. Elle avait froid et aurait froid jusqu’à ce qu’elle se glisse dans une étreinte. Celle de son frère, très probablement. Il était la seule personne qui l’avait serrée dans ses bras depuis la mort de leur père. Ça lui manquait. Bordel, qu’est-ce que ça lui manquait ! La miss était tactile, et pas qu’un peu. C’était le meilleur moyen d’avoir chaud, un bon vieux câlin. C’était sans doute pour ça qu’elle tentait de gratter quelques minutes dans le lit, au matin. Un peu de chaleur.

« Si mon frère… Si mon frère devait mourir… Je m’effondrerais pas comme s’est effondrée ma mère. Au contraire. Je me battrais encore plus. Histoire qu’il soit pas mort en vain. Je sais que j’en verrai pas le bout, de cette dictature. Mais je sais aussi que si on échoue, ce sera le terreau pour d’autres mentalités. »

Elle soupira, puis réussit enfin à mettre des mots sur ce qu’elle avait voulu dire au départ.

« Et puis franchement… Tu crois pas que ça serait lâche de refuser de lutter parce qu’on risque sa vie ? Je m’en fous de ma vie, je veux juste qu’un jour, les gens soient libres. Libérés des gouvernements inégaux et cruels, libérés de ce putain de capitalisme que je vois dès que je pointe le nez dehors. Même si ça doit se passer longtemps après ma mort, je veux contribuer. Quand je prends le temps d’y penser, je me dis que l’anarchie serait une bonne chose. Une vraie bonne chose. »

Sur ces mots, elle retourna à la contemplation de ses mains, soufflant dessus pour tenter de les réchauffer. En vain. Elle jeta un regard triste à son café. Il avait eu bon goût, pas comme celui qu'elle faisait chez elle. Pas assez d'argent pour en acheter un de qualité... Enfin, ils avaient toujours essayé de vivre le mieux possible avec leurs maigres revenus, les jumeaux. Et ils s'en sortaient, au jour le jour. Lily coula un regard à Joshua, inconscience du fait que, peut-être, il réagirait à ses mots.

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MessageSujet: Re: Premiers pas au centre d'un monde | Joshua Lun 26 Jan - 19:07 Répondre en citant Editer/Supprimer ce message
La gamine tremblait. Il ne s'en était pas aperçu tout de suite, surement due au fait que lui, il n'avait pas froid - réchauffé qu’il était depuis le temps à trainer ici - alors ça ne lui était pas venu en tête. Mais à y regarder à deux fois, elle était à peine couverte, et puis c'était l'hiver dehors, fallait pas l'oublier. Sur le coup il s'était demandé cinq secondes si c'était pas de la peur. Peur de son baratin, ou bien de lui, qui sait, ç’aurait pas été la première fois qu'il faisait fuir les midinettes. Mais lorsqu'elle prit la parole, l'idée s'envola aussitôt.

Sûr qu'il était pas voyant le Josh, à tirer les cartes au premier paumé du coin, c'était d'ailleurs pas son truc d'ordinaire de faire des pronostics sur l'avenir. Il était plutôt le genre à penser au nécessaire en fonction du moment, et laisser aux autres les plans stratégiques. Mais elle avait bien répondu, et ne semblait pas prête à baisser les bras. C'était une des réponses qu'il espérait entendre.
Lorsqu'elle se lança sur le sujet de fond, Joshua ne put s’empêcher d'esquisser un sourire. Il avait l'impression d'avoir une mini Kezeyencko face à lui. Des idées similaires qui sortaient de sa bouche, des convictions un brin radicales mais qui faisaient vraiment plaisir à entendre. Le colosse comprit alors toute l'influence qu'un type comme Nath pouvait avoir sur ses semblables. Ça le faisait marrer, car il se rendait bien compte, que lui aussi avait du être influencé par le gaillard. Pas de manière aussi radical, du radical, il en avait déjà avant de le connaître, mais incontestablement, de manière plus engagé. Sacré con.

- Tu reprends quelque chose la miss?

Avant même d'obtenir une réponse, Joshua avait fait signe au barman de ramener la seconde tournée. Lily disait rien sur le froid qui lui rongeait les phalanges mais ça se voyait, et ça ne lui disait rien d'assister à ça. Alors, sans crier gare, il saisit son cuir sur le dossier de sa chaise, se leva, et le laissa choir sur les frêles épaules de la demoiselle, la recouvrant d'une masse noire trois fois trop grandes pour elle.

- Si tu veux commencer la lutte, commence par faire un minimum attention à toi. C'est pas en attrapant la mort que tu vas nous être utile. Il glissa un sourire, le ton était plus celui de la boutade que du sarcasme. Josh lui frictionna les épaules brièvement de la main, qui à elle seule recouvrait presque ses deux omoplates, puis retourna s'asseoir face à elle et poursuivit:

- L'anarchie n'est pas une fin en soi. Ce pays en a besoin, étant donné la merde dans lequel il est coincé, c'est ce qu'on vise, un extrême en appelant un autre... Mais c'est réapprendre aux japonais à être acteur de leur vie qu’est le but ultime. Faire péter de l'ordi c'est sur, c'est notre finalité. Mais réunir les gens et faire bouger les consciences, c'est ça, qui détruira à sa base l'Incontestable.

Le regard brillant, il n'avait pas besoin de le dire pour qu'elle le sente, Lily avait réussi le test. Il lui parlait à présent à cœur ouvert, sans méfiance dans son regard, dans sa gestuelle. Dans ses mots à elle, il avait reconnu du Nathaniel, la jeune fille avait pas pu les choper d'ailleurs, c'était forcé que son meilleur pote lui avait donné sa confiance. Et c'était un passe droit assez conséquent pour Joshua, qui jugeait le regard de son vieux frère plus aiguisé que le sien.

- Du coup j’imagine que le père Nath t’as déjà parlé des actions à venir... Il t’as refilé quelque chose à faire? Tu suis le site un peu?

Ça n'aurait pas été étonnant que ce gusse lui ait déjà refilé du taf maison. Ça faisait parti du coté désordonné/anarchique de l’entreprise. Chacun y allait de son idée, les incontrôlables ne se concertaient pas toujours pour prendre chaque décision, ils avaient assez confiance les uns aux autres pour savoir qu’ils ne prendraient pas de décision à la légère pour le groupe. Nath comme lui, étaient des libres penseurs pas foutus de demander la permission d’autrui avant d’agir. Jusqu’à présent, ça ne leur avait pas joué de mauvais tours. Jusqu’à présent. Dans le tableau ça sonnait comme une fausse note, prendre une décision individuelle qui allait embarquer tout le groupe sans en parler à tous, c’était un coup à ce que ça foire. Mais ils se connaissaient assez bien pour savoir comment fonctionnait chacun, et savoir que ça ne vexerait personne. Y avait guère qu’Abbey pour hausser le ton de temps à autre - dernière au courant de ce qui se tramait autour d’elle - mais sa gueulante, c’était plus pour la forme que pour le fond. Il semblait être de notoriété publique que les leadeurs naturels étaient Joshua et Nathaniel. Donc si prise de bec il y avait à éviter, c’était plus entre ces deux là. Ce qui, jusqu’à présent et quelques soit les sujets, n’avait jamais eu lieu.
La deuxième conso arriva lorsque Lily reprit la parole.

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Premiers pas au centre d'un monde


Oh, Sarah, elle est belle mais seulement quand elle est nue, le corps tendu par ses grands airs, mes doigts collés à sa nuque...


« Tu reprends quelque chose la miss? »

Elle n'eut pas le temps de répondre. Elle aurait sans doute refusé, parce qu'elle n'aimait pas abuser de la gentillesse des gens. Elle préférait donner que recevoir, même si ces derniers temps, c'était devenu difficile. Il fallait serrer la ceinture, oublier les gorges sèches et les nuits sans sommeil, travailler toujours plus. Elle ne laisserait pas sa mère ruiner le foyer mais... Mais elle ne pouvait pas l'abandonner, non plus. Elle était bien trop gentille pour ça. Elle aimait sa famille, et la maternelle en faisait partie.

Pendant un instant, elle eut peur en le voyant se lever. Non, elle ne le craignait pas lui, mais les conséquences qu'avaient pu avoir ses propos certes pensés mais non pesés. Se sentait-il insulté ? Allait-il s'en aller et la laisser là, en tête à tête avec sa tasse vide et ses pensées agitées ? Elle serra les dents, secouée d'un discret frisson. Heureusement, il lui sourit, et elle le lui rendit, en un instant rassurée. Elle laissa échapper un petit soupir étonné quand il l'enveloppa dans sa lourde veste de cuir. La chaleur résiduelle la cueillit à la seconde suivante, et elle ne put que fermer les yeux, savourer ce bien-être aussi intense qu'inattendu. Lily avait l'habitude d'avoir froid. Même si ce n'était pas du tout agréable, elle n'attendait plus qu'on la décharge de cette plaie. Pendant une poignée d'instants, elle fut parfaitement détendue. Les tremblements qui l'agitaient encore montraient la frénésie de son corps, qui ne souhaitait que s'abreuver de cette chaleur. Elle n'aurait jamais deviné à quel point elle en avait eu besoin...

Une lueur de reconnaissance dilatait ses pupilles quand elle rouvrit les yeux. Elle se sentait mieux, infiniment mieux. Son odeur, de celles qu'on ne trouvait pas venant d'une femme, était réconfortante. Elle nicha sa tête dans le cuir tiède et en inspira une profonde bouffée. Elle gravait cette fragrance dans son esprit, pour les moments durs à venir. Quand reviendraient le froid et la peur, elle serait seule et aurait bien besoin de ce souvenir neuf et doux pour ne pas sombrer. Avec le temps, elle avait assimilé sa propre manière de penser, de réfléchir, de se comporter. Ce n'était pas facile pour elle de se comprendre. Elle préférait comprendre les autres. Sa nature altruiste l'y poussait, presqu'instinctivement.

« Si tu veux commencer la lutte, commence par faire un minimum attention à toi. C'est pas en attrapant la mort que tu vas nous être utile. »

Elle hocha la tête, lui rendant son sourire tout en frémissant sous la friction. Sous ses airs d'ours, il était gentil, en fait, le Joshua. Mais ça, elle s'en était doutée. On ne la lui faisait pas, à Lily ! Des gens bourrus, elle en connaissait, et ils étaient rarement méchants. D'autant qu'il s'était sans doute caché derrière une carapace de méfiance, à présent fissurée, tombée même. Il était inutile de se méfier d'elle. Avec ses alliés, elle était droite et franche. D'une franchise parfois dérangeante. Mais bon, c'était sa manière de leur montrer qu'elle les respectait. Si une vérité blessait, il fallait la dire.

« L'anarchie n'est pas une fin en soi. Ce pays en a besoin, étant donné la merde dans lequel il est coincé, c'est ce qu'on vise, un extrême en appelant un autre... Mais c'est réapprendre aux japonais à être acteur de leur vie qu’est le but ultime. Faire péter de l'ordi c'est sur, c'est notre finalité. Mais réunir les gens et faire bouger les consciences, c'est ça, qui détruira à sa base l'Incontestable. »

Elle hocha la tête. Cette composante entrait dans les complexes rouages de ses idées, elle en tenait compte dans ses espoirs, ses objectifs, ses tentatives. Elle avait la tête pleine de rêves, et pourtant il restait toujours de la place pour le reste. Heureusement, elle savait comment construire sa pensée pour qu'elle franchisse les obstacles comme une flèche. Mais entre la pensée et l'action, il y avait un gouffre qu'on tentait de l'empêcher de franchir. Alors elle attendait, sagement, observant l'autre bord, apprenant tout ce qu'il y avait à savoir, et quand viendrait le temps de bondir, elle serait prête.

« Du coup j’imagine que le père Nath t’as déjà parlé des actions à venir... Il t’as refilé quelque chose à faire? Tu suis le site un peu? »

Mince, alors... Il allait sans doute être déçu, au moins un peu. Lily n'était pas de ceux qui mentaient, mais cela lui perçait le coeur de ne pas répondre aux attentes de quelqu'un. Pour se donner du temps, elle se retira en elle-même, passant ses bras minces dans les manches de la veste, et prit le temps de formuler sa réponse. Elle s'amusa de la façon dont le vêtement était grand. Bien trop pour elle. Elle aurait pu s'y rouler en boule sans risquer de le distendre. Lorsqu'un homme leur apporta la seconde tournée, elle répondit, enfin.

« Monsieur Nathaniel... M'a conseillé de continuer à réfléchir. Il m'a dit que, comme ça, je pouvais l'aider sans me mettre en danger. A présent que j'ai réfléchi et grandi, au moins un peu, je reviens vers lui, je viens vers vous, pour vous aider dans la mesure de mes moyens. »

Ses yeux avaient plongé sans réserve ni hésitation dans ceux de Joshua. Nulle stupide témérité dans ses yeux, non plus. Elle savait à quoi elle s'exposait. Elle avait eu presqu'un an pour y penser, pour s'en réveiller la nuit, pour en perdre l'appétit et la soif. Elle gagna un peu de chaleur en portant la tasse de café brûlant à ses lèvres. Elle eut mal à la langue, pendant quelques instants, mais n'y prêta pas attention. L'essentiel, c'était cette chaleur intérieure et douce. Et le fait de bien dire tout ce qu'il y avait à dire.

Délicatement, elle prit la main de Joshua et plaça la sienne à sa hauteur, prenant garde à bien placer la naissance de leurs paumes l'une contre l'autre. Un sourire naquit sur ses lèvres. Elle avait la main si petite et les doigts si délicats que ses ongles atteignaient à grand-peine le début des premières phalanges de l'homme. Nul doute que s'il décidait de fermer le poing, sa main y disparaîtrait. Cela l'amusait. La force l'amusait et l'attendrissait aussi. Les plus forts avaient les plus grandes fêlures, à l'intérieur. Les plus forts, elle voulait toujours les protéger, parce qu'elle voyait cet éclat, dans leurs yeux.

« Tu crois que je vais encore grandir ? On m'a dit que non. Même pour une japonaise, je suis petite. Quand je tiens ma guitare, on dirait que je me cache derrière. »

Elle s'étira à la façon d'un chat, gémissant longuement alors que la tension due au manque de mouvements quittait ses membres. Innocente. Un peu trop puisqu'un homme à deux tables de là la regardait avec insistance et qu'elle ne s'en rendait pas compte. Elle soupira, détacha ses cheveux, les laissant retomber librement dans son dos. C'était un geste presque symbolique. L'idole Lii-chan portait ses cheveux attachés en deux couettes avec les élastiques offerts par son jumeau quand elle avait cinq ans. La jeune fille, Lily, portait les cheveux libres et portait les élastiques autour de ses poignets fins.

« J'ai vu le site web, oui. Je n'ai pas osé y laisser un message ou quoi que ce soit, j'avais peur... de vous déranger, ou quelque chose comme ça. Sinon, les pseudonymes sont bien trouvés. Mais j'imagine que Monsieur Nathaniel n'en connaît pas l'origine... Je l'imagine mal garder quelque chose désigné comme conventionnel. »

Elle but encore une gorgée de café, puis le regarda. Elle était tranquille, paisible. Parfaitement en confiance.

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MessageSujet: Re: Premiers pas au centre d'un monde | Joshua Mar 3 Fév - 15:31 Répondre en citant Editer/Supprimer ce message
Elle causait comme une première de classe, ça lui faisait drôle. Parler du Nath a grand coup de "monsieur" (et pourquoi pas monseigneur tant qu'on y était) et de vouvoiement ça lui donnait l'impression d'être un vieux débris bon pour la benne. Sûr qu'elle manquait pas d’éducation la demoiselle, c'était plutôt flatteur qu'une fille comme elle s’intéresse à des gars comme eux, racleurs de bacchanales. Mais il aimait pas les frontières Josh, et le vouvoiement était un de ces codes de langage qui marquait une séparation entre deux êtres, pourtant montés sur le même gabarit, qui se mettaient à prendre des gants pour se serrer la paluche. Pas de ça entre eux, et il lui fit remarquer aussi sec:

- Eh ma p'tite dame, avant que tu poursuives, fais moi plaisir, dis moi "tu".

Y avait bien le soucis de l'age, mais eh, ils devaient pas avoir plus de dix ans d’écart, pas de quoi en faire un fromage. Pourtant il savait bien que dans ce pays les codes de langage propre à l'age étaient très ancrés dans les traditions. Mais l'un des principes de Joshua était de faire passer son propre bon sens avant ces traditions. Il était considéré comme un étranger en ce pays depuis la crèche, et ça tombait bien, car il assumait cette étiquette jusqu'au bout des ergots.

En tout les cas, il s'était planté niveau pronostic, Nathaniel lui faisait pas encore assez confiance pour l'inviter dans leur danse, et même si elle se tenait sur le pied de guerre, son programme restait vierge de toutes propositions. L'homme s’abreuva de quelques gorgées de sa blonde, retenant son attention sur la gamine, les yeux braqués dans les siens, attentif. Et alors, curieusement, après avoir reposé sa tasse de kawa et lui son verre, elle saisit sa main alors larguée sur le bois de la table et la guida pour l'ouvrir en grand et plaquer ses phalanges le long des siennes. Joshua s’exécuta, sans piper mot, curieux de voir ce qu'elle cherchait à faire. Et surprit de remarquer la familiarité de ses gestes, témoignage d'une confiance qu'elle lui offrait sans peur. Une expression de surprise s'esquissa sur le visage du barbu, puis il regarda comme elle, la surface fluette que représentait sa petite main au cœur de sa large paume. Elle avait les doigts froids, fins, et parfaitement manucurés. En bref, son contraire. Il souri devant ce constat.

« Tu crois que je vais encore grandir ? On m'a dit que non. Même pour une japonaise, je suis petite. Quand je tiens ma guitare, on dirait que je me cache derrière. »

Puis elle s’étira avant de libérer sa tignasse bleue dérangeant son impeccable coiffure d’écolière modèle pour une impression plus en adéquation avec le bar. C'était une jolie minette, surement de celles trop naïves pour s'en rendre compte, pas un mal en soi. Pensa alors Josh. Bien qu'à son gout, le coté innocente nippone n'avait jamais été sa tasse de café.

« J'ai vu le site web, oui. Je n'ai pas osé y laisser un message ou quoi que ce soit, j'avais peur... de vous déranger, ou quelque chose comme ça. Sinon, les pseudonymes sont bien trouvés. Mais j'imagine que Monsieur Nathaniel n'en connaît pas l'origine... Je l'imagine mal garder quelque chose désigné comme conventionnel. »

Son rire buriné résonna alors:

- S'il venait à l'apprendre, 'sûr qu'il péterait son câble et nous ferait chier jusqu'à c'qu'on troque nos signatures contre d'autres noms ringards. Bah. C'est une private joke de mauvais gout auquel ma frangine tenait, pas une idée très brillante, vu qu'même une gamine de 18 ans a pu faire le lien entre les membres. Heureusement, on a un peu mieux assuré nos arrières pour c'qui est de nos adresses IP. Un sacré coup de chance pour le coup... Il semblerait qu'on ait une sorte "d'ange gardien" du net.

Il en avait assez dit pour cette fois et marqua le point final d'une gorgée de bière. Joshua tourna la tête vers la salle et observa un instant les visages éclectiques qui se mouvaient autour d'eux. C'est là qu'il percuta le nombre de paires d'yeux convergeant vers leur table, plus précisément, vers Lily. Et pas des regards suintant d'innocence, loin de là... Il se retourna alors vers elle, et grogna en fronçant légèrement les sourcils:

- Eh gamine, ta réputation d'idole là... Elle est du genre balèze? Nan parce que j'te raconte pas le nombre de gusses à gros bras qu'aimerait voir c'qui a sous ta jupe dans cette pièce... Le temps d'un silence, il la sonda de son regard, puis ajouta, t'habites loin?

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MessageSujet: Re: Premiers pas au centre d'un monde | Joshua Dim 5 Avr - 13:11 Répondre en citant

Premiers pas au centre d'un monde


Oh, Sarah, elle est belle mais seulement quand elle est nue, le corps tendu par ses grands airs, mes doigts collés à sa nuque...


Il y avait ce monde qui fourmillait autour d’elle. Elle était si petite, si insignifiante, moins qu’un grain de sable, mais cela ne la dérangeait pas. Elle savait qu’elle ne se verrait jamais autrement parce qu’il n’y avait personne pour la voir autrement. Dans ses cauchemars si ses êtres chers ne tombaient pas elle voyait dans un miroir sa peau devenir friable et se laisser disperser par le vent. Ce n’était pas un cauchemar qui faisait peur. C’était une évidence, elle était si effacée qu’il suffisait d’un peu d’air pour la disperser et l’oublier. Tant pis. En un sens, c’était utile. Si elle ne marquait pas les esprits, elle pouvait rôder, agir à sa lente et discrète façon pour atteindre ses buts. Elle ne lutterait jamais pour elle-même mais sa façon de lutter avait toujours été parmi les meilleures.

« S'il venait à l'apprendre, 'sûr qu'il péterait son câble et nous ferait chier jusqu'à c'qu'on troque nos signatures contre d'autres noms ringards. Bah. C'est une private joke de mauvais gout auquel ma frangine tenait, pas une idée très brillante, vu qu'même une gamine de 18 ans a pu faire le lien entre les membres. Heureusement, on a un peu mieux assuré nos arrières pour c'qui est de nos adresses IP. Un sacré coup de chance pour le coup... Il semblerait qu'on ait une sorte "d'ange gardien" du net. »

Elle haussa les épaules. Elle avait appris ce code, comme ça, pour s’amuser. Elle en avait appris d’autres aussi, puis son frère lui avait demandé d’en concevoir un, pour eux seuls. Se rendait-il seulement compte de la difficulté de ce genre de créations ? Elle s’y était échinée pendant des semaines, assurée que personne ne puisse le déchiffrer. Contrairement à la sténographie, cela n’était pas venu tout seul. Enfin, elle avait réussi, fait naître un sourire fier sur les lèvres de son complémentaire, et ils ne communiquaient plus qu’avec lui, par écrit.

Miki avait très vite commencé à rôder autour du site web des Incontrôlables en comprenant que sa sœur glissait peu à peu dans le mouvement. Il avait peur, il le lui avait dit. Peur qu’elle n’y trouve pas sa place, qu’elle se fasse dévorer. Elle, elle avait peur de le voir chuter, lui craignait plus que tout qu’elle soit dévorée. C’était légitime, cela dit. Josh et Nathaniel, et d’autres sans doute, ils avaient des personnalités puissantes, les loups qui menaient la meute, et elle, elle était si faible, si douce, à danser plutôt que frapper, esquiver plutôt que riposter. Elle n’était pas une combattante, disait Miki, mais une petite mésange aux ailes fatiguées.

Il se trompait. Il réaliserait, dans quelques semaines, quand ce serait son corps minces qui servirait de bouclier pour un membre du noyau dur, quand il serait là à crépiter dans son oreille et la regarder mettre de côté son altruisme et lutter, enfin, pour la vie et la liberté. Elle avait ce torrent au fond des yeux qui ne demandait qu’à être libéré pour gronder tout son soûl. Et la mésange deviendrait un aigle, bec et griffes se teinteraient de sang, et elle s’éveillerait, enfin. Peut-être pas pour longtemps. Peut-être pas avec une grande utilité. Mais cela lui ferait un bien fou parce que vivre c’était ça, seulement ça.

« Eh gamine, ta réputation d'idole là... Elle est du genre balèze? Nan parce que j'te raconte pas le nombre de gusses à gros bras qu'aimerait voir c'qui a sous ta jupe dans cette pièce… T'habites loin? »

Elle releva la tête. Sans paraître s’en soucier, elle jeta un regard autour d’elle. Ah. En effet. On ne pouvait pas dire qu’elle n’avait pas l’habitude, elle était un objet et son agence passait ses journées à la vendre, la mettre en valeur. De la prostitution sous couvert des jolis sourires hypocrites. Elle savait. Elle en connaissait beaucoup, des idoles qui avaient fini par réellement se prostituer. Plus assez jeunes, plus assez mignonnes, pas grave, il restait des gros seins et des jolies fesses. Lily n’avait ni l’un ni l’autre. Quand elle s’éteindrait elle ne pourrait compter que sur son cerveau pour continuer la lutte. Pour protéger sa famille.

« Malheureusement oui. Et oui. J’habite à plus d’une heure à pieds d’ici, plus de bus à cette heure-ci. »

Elle allait ajouter quelque chose, mais son portable sonna. Cette sonnerie-là, c’était Miki. Elle demanda quelques instants à Josh et sortit son portable de son sac à main. Pas besoin de s’éloigner, elle se fichait que le colosse entende, et de toute façon elle se sentait plus en sécurité à proximité de lui. Elle porta l’appareil à son oreille après avoir décroché.

« Nii-chan. Je… Ah. Oui. D’accord. Aucun problème. Passe une bonne soirée. Je t’aime aussi. »

Spectaculaire d’entendre sa voix à la fois douce et enjouée et de voir son regard infiniment triste, ses mains crispées qui maltraitaient le bois usé de la table. Elle avait l’air malheureuse, seule et fatiguée, mais forçait sa voix à n’en rien laisser paraître. Travail de doublage, rien de plus. C’était bien utile, là, Miki n’en soupçonnait rien. Elle le salua, raccrocha et se reprit en se forçant à respirer profondément.

« Désolée. Mon frère me prévenait que sa copine l’a invité à dormir chez elle, et il a accepté. »

Pour elle, cela ne signifiait qu’une chose : elle ne dormirait pas. Elle avait besoin d’une présence pour chasser les cauchemars. Une présence pour se sentir protégée. Elle se frotta les yeux pour en chasser fatigue et picotements de tristesse.

« J’ai pas cours demain alors ça me gêne pas de pas dormir cette nuit, mais du coup je me sens pas obligée de rentrer. Pas envie d'affronter ma mère toute seule. »

Elle en avait marre d’être sage et raisonnable. Elle était l’ouragan Lily, elle avait besoin au moins une fois de faire ce qu’elle voulait, quand elle le voulait. Elle resserra autour d’elle, la veste de Joshua, inspira encore une bouffée de son odeur. Réconfortante. Elle tenta de se stabiliser. Elle était plus minée qu’il ne le paraissait par la prise de liberté de son frère. Elle savait qu’elle était injustement possessive. Mais elle avait peur qu’il souffre, encore. Pourquoi s’acharnait-il à tomber amoureux ? Il avait déjà eu mal, pourtant. Elle ne pouvait pas comprendre sa logique.

« Eh, poulette, ça te dirait de venir boire un verre ? »

Elle haussa un sourcil, réprimant un ricanement méprisant – sérieusement ? Poulette ? Celui-là était soit saoul soit complètement con. Ses yeux se levèrent pour se poser sur l’homme venu les interrompre. Elle lui jeta ce regard entre humour et charmeuse désolation.

« Désolée, je suis déjà avec mon petit ami, là, et il est plutôt possessif… »

Malgré elle, elle se mit à prévoir une rebuffade. Que se passerait-il s’il lui forçait la main. Elle refusait de compter sur l’intervention de Josh, même si elle lui faisait confiance, elle ne considérait pas possible qu’il puisse la défendre. Si elle ne comptait que sur elle-même, elle n’était jamais déçue. Un frisson presqu’imperceptible lui caressa l’échine. Son instinct était formel : elle était en sécurité et capable de se défendre. Heureusement, elle n’eut pas à se battre. Le gars sembla mesurer la force et la taille de son prétendu compagnon et tout de suite abandonner le combat. Il s’éloigna en bafouillant et, une fois hors de portée de voix, Lily se tourna vers Joshua.

« Désolée de t’avoir mêlé à ça. »

Fiche codée par UmiBwack sur Epicode et modifiée par Eien/Lunara/Lily. Ne pas retirer.

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Joshua Sullivan

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MessageSujet: Re: Premiers pas au centre d'un monde | Joshua Mar 5 Mai - 23:43 Répondre en citant Editer/Supprimer ce message
« Malheureusement oui. Et oui. J’habite à plus d’une heure à pieds d’ici, plus de bus à cette heure-ci. »

Eh merde. Ça sentait la garde d'ado foireuse de dernière minute. Lily était sympa, en soi, la ramener n'était pas une charge même si ça sous entendait: devoir finir sa bière dans la demi heure et filer fissa (l'idée de la laisser rentrer seule à une heure si tardive n'était même pas envisageable, y avait qu'à voir la longueur de sa jupe pour savoir qu'elle finirait dans les faits divers du lendemain) le hic, c'était sa caisse. Ou plutôt, son absence de caisse. Elle décrocha son téléphone en train de vibrer: son frangin découcherait ce soir. De toute évidence, la nouvelle la rendait pas jouasse, suffisait d'y voir les traits sur sa figure de poupée nippone et le bois de la table qu'elle torturait de l'ongle pour comprendre ça. A ses paroles, Joshua ne trouva rien à répondre. Le bro' allait tirer son coup ce soir en quittant le nid familiale, grand bien lui fasse le bougre. Y avait rien de plus ordinaire à ses yeux, et il ne comprit pas la raison de sa tristesse. Après... Il se pouvait que sa gazelle soit une pouf et que Lily s'inquiétait pour lui. Mais quand bien même, ça n'était pas son problème à elle. C'était facile à dire, c'est sur.

- Ah.

Constata-t-il avec flegme. Il porta sa pinte à ses lèvres et engloutit quelques lampées laissant un ou deux centimètres de fond pour le départ. Josh supposait devoir attendre la suite pour apprendre la raison de son chagrin soudain, et il n'eut pas long à attendre car elle lâcha une info complémentaire, mais peu compréhensible, qui l'embrouilla plus encore:

« J’ai pas cours demain alors ça me gêne pas de pas dormir cette nuit, mais du coup je me sens pas obligée de rentrer. Pas envie d'affronter ma mère toute seule. »

Joshua allait répliquer le genre de phrase toute faite qu'il aurait sorti à Abbey, du genre: "Nan mais oh t'es conne ou quoi? Pioncer, bouffer, baiser, c'est la base. Si tu zappes l'un des trois autant creuser ta tombe directe, t’ira pas au delà de la case survie." Mais un kassosse vint interrompre son élan, lui arrachant l'herbe sous le pied avant même qu'il ait eu le temps de placer le moindre son.

« Eh, poulette, ça te dirait de venir boire un verre ? »

Le type chancelait dangereusement, une gueule de cul et une bedaine pleine de bière dégoulinant hors du froc. Le genre de paumé qui trainait en fin de soirée de bar en bar à la recherche d'une minette trop cuite et trop en manque, prête à accepter la première paire de couilles qui passerait. Trop fait pour se rendre compte que son taux d’alcoolémie dans le sang ne le rendait pas plus beau ni plus séducteur, mais juste plus lourdingue et ridicule qu'à l'ordinaire. Josh gronda en silence, se retenant d'ouvrir sa gueule pour postillonner sur le débris venu les déranger, et Lily se chargea de l'envoyer foutre, l'utilisant le temps d'une scénette dans le rôle du copain possessif. Pour toute réplique, le Sullivan se contenta de retrousser les canines, prêt à mordre, du mépris et une pointe de "Ouvre encore une fois ta grande gueule et j'te defonce" dans le regard, et l'ivrogne décampa aussi sec.

« Désolée de t’avoir mêlé à ça. »
- Pas d'quoi. T'as bien fait. Ça m’étonne qu'il ait gobé l'info mais vu son état il doit plus pouvoir analyser grand chose.

Joshua se radossa sur sa chaise jetant un regard panoramique sur la clientèle. Ça commençait gentiment à partir en couille: les rires gras éclaboussaient le comptoir, son pote carburait derrière ce dernier servant saké sur saké, la chaleur grimpait au thermostat, et plus aucune table n'était libre, la majorité de la clientèle se serrant en rang d'oignons près du bar. Le regard de certains laissaient poindre une lumière mauvaise au fond des rétines, de ceux qui regardaient Lily de travers, mais Joshua n'était pas dupe, il savait que sa présence en retenait plus d'un d'oser venir l'aborder. Quelques verres et ces pervers étaient faits et n'hésiteraient plus à venir par convoi tenter leur chance.

- Ok on bouge.

Ses gestes accompagnèrent ses mots dans une même vague. Avalant la dernière gorgée au fond de son verre, Joshua sortit trois billets de son portefeuille et les cala sous son godet vide, puis, fila droit, direction la sortie, attrapant de la pogne le poignet de la jeune fille, s'assurant qu'elle emportait bien avec elle sa veste. D'un pas lourd et décidé, il franchit le seuil et un vent vif vint lui fouetter l’échine. Un frisson plus tard, Joshua se tourna vers elle, et sans un mot vint fouiller les poches de son cuir pour en sortir un paquet de tabac. A l’intérieur, l'attendait sagement un joint joliment roulé qu'il coinça entre ses lèvres.

- Ah merde... Il prit cinq secondes, et pointa son index en l'air, calant son regard sur Lily. Bouge pas, j'reviens.

A nouveau l'ours pénétra dans son bar, boulant quelques épaules pour forcer son chemin et arriver plus vite au comptoir, il héla Saya de son timbre rauque et lui demanda entre deux commandes:

- J'ai une gamine à ramener, et ma caisse est au garage.
- Encore?
- Bah. C'est une chieuse c't'épave mais elle roule et je l'aime bien.
- Elle agonise tu veux dire. 'Serait peut être temps que t'investisses un jour nan?
- Un jour. Mais aujourd'hui, j'dois ramener une ado.
- ... T'essaierai pas d'me dire que tu veux que je te prête ma moto?
- Beeeen... Sa voix se veut trainante de sous entendus.
- Tiens donc... Et tu comptais rentrer comment?

Haussement d'épaules. Saya a servi trois conso durant ce laps de temps et Josh le regarde d'un œil las accoudé au comptoir.
- J'comptais m'faire des amis d'un autre calibre ce soir, d'un genre plus fêtard, et me faire raccompagner. Mais j'suis garant de cette fille là.
Regard furtif de Saya.
- Un peu jeune non?
- ...T'es sérieux là?
- Ok ok. Tiens.

Le barman ouvrit un tiroir près de la caisse, et y sorti un trousseau qu'il lança vers Joshua. Dernières indications avant le départ, et promesse de lui ramener sa pétoire avant la fermeture. Puis le colosse quitta les lieux, un dernier merci au bord des lèvres, avant de rejoindre Lily. Le froid soudain lui rappela la crève assurée qu'il risquait de se prendre ce soir, il alluma son pétard comme si ce dernier allait suffire à lui réchauffer la moelle, puis fit un signe de tête vers Lily, l'incitant à le suivre. D'un coup de clef, Joshua récupéra le casque, et l'enfonça sur la tête de la demoiselle, tout en réglant la sangle il lâcha:

- Déjà montée? Il tira sur son bedo, puis remonta la fermeture éclair de sa veste pour faire disparaitre le corps frêle de Lily dessous. C'est très simple, tu t'accroches à ma taille, et tu cales bien tes pieds là où j't'indiquerai. Va pas coller ta jambe sur le pot d’échappement sinon tu vas te trainer une sale brulure.

Avec nonchalance, le Sullivan monta la bécane, dégageant la béquille d'un coup sec de godasse, il mit le contact, faisant rugir le vieux moteur quelques instants avant le départ. Lily s'installa derrière lui et appliqua studieusement ses conseils. Les poils hérissés, la tête à l'air libre, Joshua s'interrogea cinq minutes sur la dangerosité de sa connerie à venir, et se contenta d'éteindre son joint à demi consumé sur son jean, pour le ranger soigneusement sur le cuir de la jeune fille. Se tournant alors vers elle, il s'approcha de sa tête casquée et demanda:

- Alors si on va pas chez la maman, on va où?

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Merci Kato Iga pour ce génialissime dessin. Tu sais que je t'aime beau frère?